Le « capitaine » de Montfort se prépare à passer le flambeau

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À quelques semaines de son départ à la retraite, Dr Bernard Leduc, président-directeur général depuis 2010 et membre de l’équipe Montfort depuis 1999, a pris un moment pour revoir les moments marquants de sa carrière.

Quels ont été les moments les plus émouvants de votre carrière?

Groupe de personnes, dont plusieurs sont des personnes racialisées, assises en cercle dans l'auditorium de Montfort
La rencontre qui a mené à la formation du Comité contre le racisme et pour l’équité, la diversité et l’inclusion (CRÉDI) à Montfort, en juillet 2020.

Il y a plusieurs moments.

La rencontre avec le groupe d’employé·e·s qui se sont manifesté·e·s en 2020, en lien avec le mouvement Black Lives Matter. Les témoignages des participants m’ont beaucoup touché, j’étais bouleversé à la fin de la rencontre. Encore maintenant, je suis très émotif quand j’en parle.

Chaque fois que j’ai quitté une équipe, comme lorsque nous sommes partis de Val-d’Or pour venir dans l’Outaouais, ou quand j’ai quitté ma pratique à Gatineau. Ce sera encore plus émouvant lorsque je quitterai Montfort, mais on ne quitte jamais Montfort…

Notre désignation comme hôpital universitaire, le 13 juin 2013. Je me souviens de l’ovation accordée à Madeleine Meilleur lors de l’annonce à l’Assemblée générale annuelle de l’Association.

Aussi, d’avoir reçu notre Agrément de 2014, notre premier agrément avec mention d’honneur, et en parallèle notre troisième agrément après la pandémie, en 2022 malgré tout ce que nous avions traversé avec la pandémie…

Et évidemment, le jour de mon mariage, la naissance de mes deux filles.

En ce moment, je vis certains deuils.

Tu ne peux pas faire ce travail sans l’embrasser à 100%, dans tout ce que tu es.

Je suis fier du chemin parcouru en équipe depuis 2010 jusqu’à aujourd’hui, malgré les dernières années qui ont été éprouvantes. Mais, à la fin, il y a des projets que je n’ai pu terminer. Ce sera à la belle équipe Montfort de les porter à terme.

Ce qui m’habite depuis les 18-24 derniers mois, c’est d’assurer que je mets la table le mieux possible pour que la transition avec Dominic Giroux se fasse de la manière la plus harmonieuse, la plus fluide possible, et me concentrer sur les choses que je contrôle en laissant aller ce que je ne contrôle pas.

Comme dans une équipe de hockey, même si le capitaine ou le coach change, l’équipe persiste et demeure. Et je prédis une coupe Stanley bientôt.

Quelles ont été les innovations dont vous êtes le plus fier?

Notre modèle de gestion! On n’a pas pris une recette et on ne l’a pas appliqué bêtement… Ce n’est pas toujours évident ni pour moi ni pour les autres, mais de trouver ce qui correspond à Montfort, créer une approche structurée de haut en bas et laisser la capacité aux gens sur le terrain de développer des solutions.

Le Nouveau Montfort. J’ai dirigé la plus grande expansion de l’offre de service de l’histoire de l’hôpital, alors que nous avons doublé notre offre de service, tout en ajoutant de nouveaux services comme la médecine nucléaire et le laboratoire du sommeil.

Le Carrefour! C’est toute une démarche d’innovation que nous avons mise en place. Il reste la réalisation de la promesse de soins intégrés.

Les avancées en télémédecine. Il y a des éléments qu’on mettait déjà en place avant la pandémie pour offrir des soins aux francophones de l’Ontario, par exemple en santé mentale, pour répondre à notre mandat provincial d’hôpital universitaire.

Pour l’Équipe Santé Ontario (ESO), je suis fier du chemin parcouru et que l’on ait mis en place une ÉSO bilingue – la seule en Ontario.

Ce qui vous manquera le plus de venir travailler à Montfort ?

Je réponds toujours « Oui » à la question 28, « Avez-vous hâte de venir travailler »!

Je vais m’ennuyer de l’esprit d’équipe, la famille, les relations avec les gens au quotidien, l’adrénaline… le feeling quand tu regardes ton agenda le matin et tu penses que ce sera une petite journée facile… et tu arrives chez toi à 20 h et tu te demandes ce qui est arrivé de ta journée facile!

J’aime aussi le côté de problem solving : je trouve stimulant de définir le problème, tout en réalisant que ce n’est pas moi qui dois trouver toutes les réponses, et que ce ne sera pas moi qui va devoir résoudre le problème et faire la mise en œuvre de la solution !

Ce qui ne vous manquera pas du tout de venir travailler à Montfort?

Tout va me manquer…

Mais c’est sûr qu’il y a parfois des frustrations par rapport au système qui est compliqué. J’aimerais que les organisations aient un peu plus de liberté pour pouvoir se gérer et innover.

Qu’est-ce qui vous a manqué quand vous avez arrêté de pratiquer la médecine?

Dr Bernard Leduc à l'unité de médecine familiale de Montfort
Dr Bernard Leduc durant ses années à l’unité de médecine familiale de Montfort, entre 1999 et 2004.

Je suis une personne de contact humain; je me suis ennuyé de perdre la relation d’aide et d’écoute avec les gens, la résolution de problème, l’enquête pour comprendre leur état de santé. Ce qui ne m’a pas manqué, c’est la charge administrative, la paperasse, de pousser pour que les gens puissent avoir accès à leurs soins.

Quand j’ai commencé à Val d’Or, je faisais de tout. En arrivant à Gatineau, il y avait des spécialistes; je me suis donc dirigé vers une clinique de maternité et de médecine familiale. J’ai toujours travaillé dans le milieu hospitalier, et j’ai toujours été intéressé par les cas plus compliqués. Dans la médecine de famille, il y a une beauté de toucher à tout et d’être versatile.

J’ai continué à faire de l’urgence, mais j’ai dû laisser aller après trois ans – j’avais une jeune famille, et il y avait toujours des conflits d’horaire.

J’ai beaucoup aimé l’obstétrique, j’ai assisté à près de 1 000 accouchements. Le 28 décembre 1998, j’ai fait mon dernier accouchement. C’est quand j’ai quitté Gatineau pour venir pratiquer à Montfort. Cela a été un deuil de laisser aller l’obstétrique.

Quelles ont été vos plus grandes surprises, les événements que vous n’aviez pas vus venir?

Une première tournée masquée de la haute direction sur les étages, dans les premiers jours de la pandémie.

La pandémie! Et à l’intérieur de la pandémie, l’impact catastrophique de la vague Omicron sur le personnel. Après le SRAS dans les années 2000, on savait qu’on n’était pas à l’abri d’une pandémie, mais on n’avait pas anticipé l’ampleur que ça pouvait prendre. On était toujours en appréhension de l’impact sur les soins aigus. Mais quand Omicron est arrivé, le nombre de collègues infectés, pendant 6 à 9 mois… on n’avait pas anticipé ça.

On avait déjà deux ans de fatigue accumulée; Omicron a mis tout le monde à terre et on n’a pas encore récupéré complètement.

Sinon, il faut toujours s’ajuster, je pense, par exemple aux changements à la formule de financement en 2015.

On a dû s’ajuster, mais c’est normal.

Les chansons ou les disques incontournables de votre playlist musicale?

L’album de Miles Davies, Kind of blue, et je dois donner le contexte : je faisais de l’obstétrique à Gatineau et j’étais de garde le soir du 1er juillet. Un couple venait accoucher, le père était un musicien de jazz, les futurs parents voulaient écouter de la musique durant le travail. À la fin de l’accouchement, le mari m’a donné la cassette de Miles Davies. En revenant vers ma maison à 2 h du matin, j’ai fait jouer la cassette dans ma voiture et ça a été une épiphanie. J’ai enfin « compris » le jazz avec Kind of Blue.

L’album de Pink Floyd, Dark Side of the Moon. Un vrai classique.

Et j’aime beaucoup la fougue et la vigueur des œuvres de Beethoven.

Quels sont vos plans pour la retraite?

Premièrement, prendre un peu de repos… Profiter de ma famille, de ma petite fille. Déconnecter. Prendre une brisure de ma vie canadienne. On a beaucoup voyagé avec les enfants, mais c’était d’habitude pour une ou deux semaines; cette fois-ci, je veux m’installer à une place pour un certain temps… En septembre, on a loué une maison pour trois mois en Bourgogne, en France.

Je sais déjà comment je vais réagir après avoir passé quelques mois sans un horaire structuré : j’ai la discipline de me faire mon propre horaire.

Dr Leduc en train de jouer du saxophone à la maison
Dr Leduc et son saxophone

J’aime beaucoup la gouvernance et je vais continuer; je commence à siéger au Bureau des gouverneurs de l’Université d’Ottawa en juillet. J’aime aussi enseigner, coacher; je peux apporter quelque chose de ce côté-là, continuer à partager ce que j’ai appris. Ma participation dans certains conseils d’administration (CA) prend fin, j’achève mon mandat avec Agrément Canada, je reste sur le CA de Health Pro. Après ça, on verra.

Lors de mon 50e anniversaire, je me suis acheté un saxophone. Ça faisait des années que j’en voulais un. Dans ma carrière, il y a deux années quand j’ai pris congé le jour de mon anniversaire, qui est en mai : pour mon 50e et mon 65e. Mon 50e, c’était la journée où on entrait l’IRM dans l’hôpital, mais j’avais décidé de rester à la maison et je m’étais inscrit à un cours de saxophone ce matin-là… mais en août j’ai commencé mon EMBA et j’ai mis le sax de côté.

Je veux aussi suivre des cours de sommelier et compléter la certification; suivre des cours de cuisine, spécifiquement sur les sauces et la mise en place.

Je veux nourrir (de bonne bouffe) et abreuver (de bons vins) ma bedaine… mais aussi perdre ma bedaine et me remettre en forme. J’ai couru un marathon en 3:38 en 1990…

Qu’est-ce que vous n’allez PAS faire durant votre retraite?

En 1995 à Gatineau, on m’avait demandé si j’appliquerais sur un poste d’administrateur et j’avais répondu en deux nanosecondes : « Moi, l’administration, JAMAIS! »

J’hésite donc à dire non à quelque chose de manière catégorique.

Je ne veux probablement pas travailler à nouveau à temps plein, mais je prendrai peut-être de courts mandats.

Est-ce qu’il vous reste des « dossiers inachevés » ?

Il y a certaines choses que j’aurais voulu faire avancer et je dois reconnaître que je ne pourrais pas les compléter. Je dois réaligner mes priorités et faire ce que je peux d’ici mon départ. Si je regarde sur mon bureau, je vois les dossiers du troisième MRI, la rénovation de la pouponnière…

Avez-vous le sentiment du devoir accompli?

Oui… Depuis 2015, la date de ma retraite est inscrite à mon agenda, soit en 2023. Je veux profiter de ma retraite. Les trois dernières années m’ont confirmé que c’était la bonne décision à prendre. J’avais une idée de comment allait se passer mes dernières années, mais la pandémie a jeté un pavé dans la mare. 

J’aurais aimé laisser l’hôpital dans des conditions différentes, mais je suis conscient qu’avec Dominic et la qualité de personnes à Montfort, vous allez porter l’hôpital plus haut et plus loin.

Comme on dit : ça sent la coupe! 

Dr Bernard Leduc est PDG de Montfort depuis 2010. Quand il n’est pas en train de diriger l’hôpital universitaire francophone de l’Ontario à travers les écueils du système de santé, il participe à de nombreuses activités célébrant la francophonie ontarienne, il prépare de bons repas entre amis ou il voyage à travers le monde, souvent pour faire de la plongée sous-marine dans les eaux bleues des Caraïbes.