Judith Makana : du Congo au Canada, toujours par en avant

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En 2003, une jeune médecin arrive du Congo, récemment mariée et mère adoptive de trois adolescents. Son titre n’étant pas reconnu au Canada, elle retourne sur les bancs de l’université, devient infirmière, puis éducatrice clinique; elle obtient sa maîtrise, et contribue maintenant à faire progresser la Stratégie 2021 de Montfort en participant à un projet innovateur sur la gestion des maladies chroniques. Portrait d’une femme qui veut donner.

Judith et sa mère, le jour de sa graduation du primaire.

Je suis née en République démocratique du Congo; à l’époque où le pays s’appelait Zaïre. J’y ai fait toutes mes études en français, dans le système éducatif belge.

J’ai obtenu mon diplôme en médecine à l’Université de Kinshasa, la capitale, en 2001. J’étais assignée à une unité de chirurgie.

Pourquoi j’avais choisi la médecine? Par passion! En effet, j’avais un oncle médecin (paix à son âme) qui était très proche de nous. J’aimais passer du temps avec lui dans sa clinique privée où il exerçait et j’étais fascinée de le voir interagir avec ses patients et ses employés.

Et c’était clair pour moi que je voulais aider les autres à demeurer en bonne santé en me mettant à leur service.

Peu après être devenue médecin, j’ai rencontré un prince charmant, un Congolais qui vivait à Ottawa depuis 1989.

Je commençais une nouvelle carrière, j’étais jeune et ambitieuse… Finalement, j’ai pris la décision délicate de le suivre à Ottawa. Je n’étais même pas venue en visite au Canada avant de décider d’immigrer.

Avant de partir, on avait adopté trois grands enfants. Ils étaient de la famille; deux avaient 16 ans et un en avait 14. Ils sont venus avec moi au Canada.

En 2003, je suis donc arrivée au Canada, une jeune mariée avec trois adolescents!

Heureusement, mon mari a été mon premier cheerleader durant tous mon processus d’adaptation à ma nouvelle vie au Canada.

Repartir à zéro

Je savais que mon diplôme de médecin ne serait pas reconnu, mais je n’avais pas réalisé combien il serait difficile de retourner à la pratique médicale.

J’avais trois choix : je devais soit retourner aux études et tout recommencer au complet; je pouvais faire des tests de reconnaissance des acquis avec le Conseil médical du Canada (CMC), mais ça coûtait cher pour mon budget de nouvelle immigrante. Ou je pouvais faire autre chose que la médecine.

Comme je voulais aider les gens en restant dans le domaine de la santé, j’ai choisi de retourner à l’école pour devenir infirmière avec l’idée, au départ, de passer mes examens avec le CMC plus tard. En plus, j’avais droit à des prêts et bourses d’études. Après une première année en sciences infirmières à l’UQO, où j’ai eu de très bonnes notes, j’ai décidé de poursuivre mes études à l’Université d’Ottawa où j’ai pu obtenir également différentes bourses d’études.

Pendant que j’étudiais, je travaillais comme préposée dans une agence, ensuite à l’urgence du campus Civic de L’Hôpital d’Ottawa, et je faisais en même temps quelques stages à Montfort.

Il y a onze ans, pendant que j’étais préposée au Civic, Montfort m’a embauchée comme « aide-soignante ». C’était un titre donné aux étudiants de 2e année qui se préparaient à débuter la 3e année. On pouvait à peu près juste prendre les signes vitaux! Mais c’était une occasion de voir le milieu hospitalier et observer la routine d’une infirmière.

Ça a été le déclencheur…. Ainsi commença l’aventure avec Montfort.

Après les vacances d’été, il fallait réassigner les gens, soit comme préposé, soit comme commis. J’ai été préposée à l’urgence à Montfort durant une courte période de temps et ensuite commis en santé mentale, en plus d’être aux études et de continuer à travailler comme préposée au campus Civic de L’Hôpital d’Ottawa.

J’ai choisi de faire ma consolidation (stage de 4e année) à Montfort. J’aimais le milieu francophone, c’était plus facile pour moi de mettre en pratique la théorie que j’avais apprise puisque mes cours étaient en français.

À la fin de mon baccalauréat en 2010, L’Hôpital d’Ottawa m’a proposé un poste comme infirmière à Civic, mais je voulais travailler en français et redonner à la communauté francophone. Je me suis dit: si j’ai un parent qui va à l’hôpital, dans quelle langue je veux qu’il reçoive des soins? Bien que capables d’interagir également en anglais, ma famille est avant tout francophone. C’était ma façon de redonner.

Quatre mois après que j’aie commencé le programme HFO au 4A (programme d’intégration pour les nouvelles infirmières), j’ai eu un poste d’infirmière régulière à la même unité.

Une infirmière, ça grandit vite!

Très rapidement, je devenais responsables ici et là : préceptrice des étudiants en consolidation, mentor pour les nouvelles graduées ou encore chef d’équipe.

Et un jour, une opportunité au poste d’éducatrice clinique s’est présenté; je l’ai donc saisi en me disant que je pouvais toujours me retirer du poste si l’expérience ne me plaisais pas.

Ça ne paraît peut-être pas : je suis une personne assez timide. Je savais que j’avais les connaissances, mais je me demandais si j’allais pouvoir les transmettre de manière adéquate. Aujourd’hui, God knows que j’aime ça! Je suis vraiment contente d’avoir accepté ce nouveau défi. Je suis ce genre de personne… quand j’ai une vision, je la laisse mûrir, j’y travaille fort et petit à petit, j’y arrive.

Retour sur les bancs de l’université

Oui, je suis infirmière aujourd’hui, mais j’ai aussi tout mon côté médical. Quand je parles avec un patient, ce n’est pas juste « Judith l’infirmière » qui leur parle.

Et j’ai de bonnes relations avec les médecins, quand j’interagis avec eux, je peux avancer des arguments assez solides…

En interagissant avec les patients aux prises avec les maladies cardiaques au 4A, j’ai senti le besoin d’aller plus loin, je me demandais constamment comment améliorer l’éducation aux patient et leurs proches.

Pendant la Semaine des soins infirmiers, en mai 2015, trois professeurs en sciences infirmières de l’Université d’Ottawa sont venues à Montfort faire une présentation. Je les connaissais, c’était mes anciens profs. Pendant qu’on discutait, l’une d’elles m’a offert de superviser ma maîtrise.

Je me suis dit : « Oh non, pas retourner à l’école encore ! Je vais y penser… »

Après avoir discuté avec mon mari et ma directrice à Montfort, et j’ai commencé, en septembre de la même année, une maîtrise à l’Université d’Ottawa; j’avais reçu une bourse d’études.

J’ai fait mes études à temps plein tout en travaillant aussi à temps plein. Étant donné qu’à la maîtrise, il n’y a pas autant de cours qu’au baccalauréat, j’en ai aussi profité pour suivre un ou deux cours à distance. Par exemple, si j’avais un cours le matin, je travaillais comme éducatrice clinique l’après-midi de 13 h à 21 h. Ceci me permettait également de supporter les équipes cliniques de soirée.

Le sujet de ma thèse de maîtrise portait sur ‘Les effets de l’approche de l’enseignement bidirectionnel (teach back) sur les couples francophones vivant en situation linguistique minoritaire dans la région d’Ottawa dont un partenaire est atteint de l’insuffisance cardiaque’. Une thèse de 200 pages. Je n’ai pas pris la voie facile!

Mon milieu de recrutement était l’Hôpital Montfort et je me suis assurée de respecter les règles d’éthique, de me détacher de mon rôle d’éducatrice clinique. C’est le recrutement des participants qui a pris le plus de temps. Les équipes au chevet m’ont vraiment aidé à recruter… et j’ai également été qualifiée pour des bourses de recherche de l’ISM et du CNFS. J’ai travaillé avec six couples, donc 12 participants, qui ont bien aimé leur participation au projet.

L’intervention se faisait après leur congé de l’hôpital et consistait en une session d’éducation aux couples en lien avec l’autogestion de l’insuffisance cardiaque. Ensuite, je faisais des suivis à leur domicile au jour 7 et au jour 30.

Ce qui est ressorti de ma recherche, et ça confirme ce que je vois depuis que je travaille avec l’équipe de gestion des maladies chroniques : c’est clair qu’il y a un besoin pour une meilleure intégration et transition des soins, dans la langue de préférence des patients.

Judith, lors de la cérémonie des grades pour sa maîtrise à l’Université d’Ottawa

C’est incroyable le nombre de gens qui ne prennent pas de rendez-vous avec leur médecin de famille après leur congé de l’hôpital, même si on leur a dit et répété de le faire… Et les patients ne sont pas vraiment à l’affût des symptômes d’exacerbation (aggravation) de leurs conditions chroniques. Heureusement que les conjointes étaient plus attentives! D’ailleurs, les couples ont apprécié le fait que la conjointe et le patient étaient considérés comme une équipe et qu’ils travaillaient ensemble.

J’ai fait ma défense de thèse le 8 mars 2019. C’était stressant, on a beau se préparer, on ne sait vraiment pas à quoi s’attendre… Finalement, ça a super bien été!

Ma thèse a fait germer en moi une passion pour la recherche. J’y avais déjà touché, en faisant un projet clinique interne avec Dre Chomienne sur les patients insuffisants cardiaques. C’est étrange, il n’y a personne dans ma famille qui souffre d’insuffisance cardiaque, mais on dirait ça vient me chercher.

Un projet pilote… stratégique

Pendant que je finissais ma thèse, il y a eu besoin d’assigner une éducatrice clinique pour appuyer la belle équipe de planification du Centre d’excellence clinique et plus particulièrement avec la mise en œuvre d’une équipe en gestion des maladies chroniques. Ça rejoignait de près ce que j’avais fait durant ma thèse, puisque la vision était de considérer le patient dans toute sa globalité (holistique). J’ai donc estimé que mon profil y correspondait bien et j’ai donc joint l’expertise enrichissante de l’équipe qui y travaillait déjà.

Depuis le début du pilote le 15 avril dernier, il y a eu environ 85 participants grâce à une équipe très motivée, dévouée et engagée à sa réussite : l’équipe (mobile) en gestion des maladies chroniques. Après la première phase du pilote (vers la mi-octobre), le service sera peaufiné sur la base des commentaires que nous recevons afin d’entamer la deuxième phase qui se poursuivra jusqu’en mars 2020.

À date, la rétroaction des patients est très positive. De même les témoignages des artisans de ce beau travail, les membres de l’équipe mobile!  Un des commentaires ressortis est « c’est pour ça que je suis devenue professionnelle en santé ». On aime voir le patient dans toute sa personne, on peut prendre le temps de parler avec le patient et ensuite d’échanger nos constatations avec le reste de l’équipe.

Ce n’est pas encore parfait, c’est notre première itération, mais on est sur la bonne voie et toute l’équipe est bien engagée.

En maintenant?

J’aime la formation et l’éducation, j’aime beaucoup le travail clinique, la recherche me fascine également. En fait, je n’avais pas remarqué, ce sont les trois piliers d’un hôpital universitaire! Je veux continuer à grandir en m’appuyant sur ces trois piliers.

Judith (à droite), son mari et sa mère, lors d’une visite au sanctuaire de Sainte-Anne de Beaupré, près de Québec.

Je ne suis jamais retournée au Congo, on dirait que je n’ai juste pas eu le temps. Mais ma mère vient d’arriver pour me visiter après 16 ans de séparation.

Je ne fais pas qu’étudier et travailler. J’ai aussi des loisirs; j’adore les films d’action particulièrement ceux de Jean-Claude Van Damme ou Jason Statham, j’en mange!

J’aime aussi marcher dans mon quartier le soir, ça me fait du bien. La marche et la prière m’apportent la tranquillité d’esprit. Nous aimons également passer du temps avec nos petits-enfants.

Si j’ai un message à donner aux gens, c’est juste de leur demander d’avoir une vision, de manifester qu’on a du potentiel, et de saisir les opportunités qui se présentent à nous.

Judith travaille à Montfort depuis 2008, d'abord comme infirmière de chevet et maintenant comme conseillère à la pratique professionnelle (en passant par éducatrice clinique, commis, préposée et aide-soignante). Dans ses temps libres, Judith bouffe des films d'action (Jason! Jean-Claude!), après quoi elle retrouve le calme en allant marcher dans les rues de son quartier.