Documenter avec l’intelligence artificielle… ou presque

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Je suis psychiatre généraliste communautaire et j’aime appliquer la technologie dans ma pratique clinique. Je n’utilise plus le stylo dans les dossiers depuis 1993, ma calligraphie étant particulièrement illisible, même pour moi !

J’ai donc utilisé plusieurs logiciels de dictée au fil du temps. Il n’y a pas si longtemps j’employais une transcriptionniste, ma belle-sœur, qui a dû laisser le boulot à cause de blessures de répétition. J’employais aussi ma belle-fille pour corrections et édition. Mon assistante faisait une dernière correction et hop, le tout était envoyé par courriel crypté avec un délai d’environ 72 heures.

Plus tard, j’ai utilisé des applications mobiles telles que Otter.ai avec reconnaissance vocale ; « correct », auraient dit mes enfants, sans plus, pas vraiment adaptées à la psychiatrie. Depuis les six derniers mois, j’utilise Dragon Medical Suite, version sur le Nuage (cloud). C’est la première version de Dragon qui comprend un peu mieux mon accent.

Entre-temps, comme « le fainéantisme est la mère de tous les vices », j’accepte de reprendre des cliniques du Nord de l’Ontario par téléconférence à raison d’une demi-journée semaine. Avec les cliniques satellites à Rockland en plus de mes trois visites physiques dans les cliniques du Nord de l’Ontario, mon assistante, Isabelle est à bout de souffle !

Dragon fait le travail à 95 %, mais mes notes ont besoin d’édition, c’est sûr.

Curieux et allumé par toutes les discussions sur l’intelligence artificielle, j’essaie un logiciel, Scribe Matic, d’une petite start-up basée en Utah. Pendant six semaines je serai avec eux, testant leur logiciel avec certains de mes patients privés et vus à Chapleau, Wawa et Mattawa, où je me rends chaque mois. Ce logiciel n’a pas été créé pour la psychiatrie, c’est important de le savoir, mais on me dit qu’il y a plusieurs psychiatres qui s’en servent.

J’ai tout abord dicté mes notes et le résultat fut mitigé, pas vraiment acceptable. On me dit que le programme a été pensé pour enregistrer les sessions et laisser le logiciel créer la note. C’est donc ce que je fais. Je laisse le logiciel en mode écoute durant les sessions. Je peux choisir plusieurs paramètres pour configurer ma note à ma manière. Je travaille deux heures avec un programmeur et nous bâtissons ensemble un squelette de ce que je veux pour mes notes de consultation. Je m’abonne au programme et je prends le plan mensuel.

Je suis très excité des premiers résultats : les notes de suivi, courtes, simples, sont par moment absolument renversantes. Le logiciel « fait » les diagnostics de lui-même, trouve des numéros de télécopieur de pharmacies qui me sont inconnues. Cependant, les notes de consultation sont très décevantes.

Je me sens comme sur des montagnes russes : je passe de très excité à très déçu dans la même matinée.

Les notes de consultation sont beaucoup trop simplifiées. Les interventions psychothérapeutiques ne sont d’aucun intérêt pour le logiciel, les négatifs du genre « pas d’idéations suicidaires » n’apparaissent pas, mes recommandations deviennent des « considérations » et sont simplifiées à outrance. Je dois faire des corrections par le clavier.

Je pourrais « parler à ma note », c’est une des fonctions du logiciel, mais ce que je dis n’apparaît pas intégralement et là encore, des choses essentielles ne s’écrivent pas. Je dicte au logiciel avant et après la note, pour « lui » donner du contexte. Ça aide un peu, mais pas suffisamment. Je passe quasiment autant de temps à ajouter ce qui a été manqué que ce que ça m’aurait pris pour dicter. C’est décourageant. Je ne sais pas trop quoi penser. Les notes de suivi sont tellement… wow !

Dr Hugues Richard, psychiatre à Montfort

Les programmeurs font bien leur possible, mais il semble qu’ils ne peuvent faire plus. Puis, la directrice d’un centre me dit : « Vos notes sont bien faites, concises, tout est là, sauf… votre voix ! Vos notes ont perdu votre voix, ont perdu leur âme, on ne “sent” plus le patient. C’est robotisé. » Bang ! Je ne peux qu’acquiescer, mon assistante aussi.

On cogite, et on finit par se dire qu’il faut revenir à Dragon, à ma voix. Je rencontre une fois de plus le programmeur, qui m’affirme que ma voix ne pourra pas jamais faire partie de mes notes, du moins pas avec leur programme tel qu’il est. Je lui annonce donc que je ne me servirai plus de son logiciel. C’est malheureux. Il comprend.

Ce logiciel est approuvé PHIPHA et aucun humain n’écoute ou n’accède aux données. Le jeune personnel fut réellement très chouette et honnête avec moi. Donc, ce n’est pas pour moi… pour le moment. Si seulement on pouvait faire des commandes verbales qui contrôlaient ce qu’on veut ajouter à la note, et vraiment écrire ce qu’on dit.

Par ailleurs, ce logiciel (comme, je pense, plusieurs logiciels d’IA) travaille avec dix-huit langues (Dragon, t’entends ça ?). Donc, mon expérience n’est pas que négative, mais je ne pouvais avoir 100 % confiance que mes notes contenaient ce que je considère, moi, comme important et même crucial.

Les enregistrements sont conservés pendant soixante-douze heures puis, à la “Mission impossible”, ils s’autodétruisent. Or, pour mon assistante, il aurait fallu qu’elle relise tout le verbatim de la session pour s’assurer que la note était sans failles. Un travail de moine.

C’est moi qui aurais dû relire la note et apporter les correctifs. Trop long. J’aurais perdu un temps précieux et en plus, j’y perdais mon âme !

Donc, nous revoilà avec Dragon et avec un certain plaisir de retrouver intégralement ce que j’ai dit dans mes notes. Mon assistante me demande maintenant une augmentation de salaire. Je m’en tire malgré tout assez bien, considérant que ce logiciel coûte 399,99 $ US par mois, mais ne lui dites pas !


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Dr Hugues Richard
Dr Hugues Richard est psychiatre communautaire pour adultes à Montfort, et s'occupe de la rotation obligatoire des soins partagés avec les résidents PGY-1V ou V en psychiatrie. Dr Richard accorde un intérêt particulier à la télémédecine et à l'offre de soins aux communautés éloignées, offrant ses services aux régions de Kapusksing, Hearst, Smooth Rock Falls, Mattawa, Chapleau et Wawa.